
1. Parler des Zones à défendre aujourd’hui, c’est parler des formes d’extraterritorialité à l’État. Non seulement parce qu’à partir du 2010 et pendant quelques années, la police ne pouvait plus entrer sur 1650 hectares de zones humides et de bocages, et ceci à seulement 25 km de la ville de Nantes, mais parce que s’y éprouvèrent des formes communales indissociables d’une autodéfense collective. Il fallut une intervention militarisée pour venir à bout, telle une opération dans un pays étranger, de sa résistance à l’État.
En ce sens, nous pouvons adopter la proposition de Kristin Ross qui fait de la ZAD de Notre Dame des Landes une forme-commune : front commun à partir des formes de vie hétérogènes qui ne se laissent pas subsumer par la figure d’un sujet social.
2. Parler de la ZAD, c’est se pencher sur les fragiles compositions de multiplicités, humaines et non-humaines, sur les coexistences d’usages, sur des agencements entre des formes de vie, leurs conflits, leurs expérimentations. La ZAD sut faire émerger, non pas une gouvernance, des institutions, mais des formes d’organisation pour que des puissances génératives de la communauté puissent s’affirmer. La ZAD fut depuis ses origines une machinerie de liaison ; simultanément un contenant d’hétérogénéités, d’expérimentations collectives, d’organisation, et aussi de transmission et un appel permanent à son dehors. La ZAD, son rayonnement, en tant que lieu de passages et d’instauration de régions de l’expérience aura ainsi marqué une époque. Elle peut alors être à tout moment réactualisée.
3. Il n’est pas des lors étonnant que Les Soulèvements de la Terre portent si fort aujourd’hui l’empreinte de cette histoire mineure faisant contraste avec les fastes des grandes histoires révolutionnaires qui ne savent se penser que comme re-totalisation face à la totalité du Golem étatique. Les ZAD signent un changement de paradigme dans les pratiques révolutionnaires. Elles ont su mettre de côté la chimère de la centralité d’un sujet social comme fondement du politique.
4. Parler de la ZAD aujourd’hui, c’est la comprendre comme préfiguration, comme toutes les bonnes histoires qui méritent d’être racontées et reconvoquées sans fin. Comme toutes les histoires qui revitalisent le passé, elle permet de cultiver des résurgences. En ce sens elle est déjà un démenti cinglant que le conflit se réduit à un face à face entre des foules et la police, cette dernière jouant le rôle du dernier corps intermédiaire entre ceux qui font sécession et le pouvoir d’État.
5. Parler de la ZAD aujourd’hui c’est prendre à bras le corps l’offensive contre la métropolisation. Là où se retrouve le nouage entre un État ayant abandonné toute logique pastorale pour se concentrer dans l’administration des flux et des réseaux, et les nouvelles déterritorialisations capitalistes, ses destructions des formes de communauté et des milieux qui leur sont associés. En ce sens, le grand chantier révolutionnaire d’aujourd’hui c’est de faire rentrer les logiques de démétropolisation dans les espaces densément urbanisés et caractérisés par la relégation sociale. Une prolifération d’initiatives va déjà dans ce sens. Les frontières entre « ville » et « campagne » sont en train d’être trouées.
6. Mais la ZAD aujourd’hui est surtout l’arme la plus efficace contre le libéral-fascisme qui vient : ce sont avec les armes des interdépendances, des relations situées, de l’entraide et de la coopération que nous pouvons saboter l’entreprise macroniste et son monde acosmique, qui n’est rien d’autre qu’un avatar provincial des ravages de la métropole globale.
Vocabulaire critique et spéculatif des transitions.
Paru dans Lundi matin.